Alger, histoires de migration

Pour le magazine multimédia en ligne Perspectives رؤية du Goethe-Institut au Caire paraissant dans les régions d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, j'ai réalisé en 2018 six portraits photographiques accompagnés d'entretiens sous forme de texte avec des personnes vivant à Alger autour de leur experience migratoire.

 

https://www.goethe.de/prj/ruy/fr/mig/21364203.html

 

Avant de quitter l’Algérie, j’étais artiste, j’avais une micro-entreprise et j’étais engagé dans des mouvements associatifs. Mais du côté personnel, à chaque fois, mes relations tombaient à l’eau. Comme je suis homosexuel, je pensais que c’était dû à l’Algérie, car ici c’est tabou. Je voulais une vie affective normale, partager des rêves et faire un chemin ensemble avec la personne aimée.

J’adorais faire la fête, boites de nuits, cabarets, discos, et quand j’y allais, c’était avec une extravagance ! Même en France, je ne pense pas avoir été aussi extravagant en tant qu’homosexuel. Parfois, j’embrassais mon petit copain au milieu de la piste, et tout le monde était là, nos voisins, les mêmes personnes qu’on rencontrait la journée, avec qui on travaillait. Mais si en plein jour, je prenais juste la main de mon copain dans la rue, ou je montrais un peu mon côté féminin, je pouvais être lynché. Une fois, en sortant d’une boite de nuit, mes oncles maternels m’ont insulté de pédé en public et m’ont tabassé. Je ne me suis pas laissé faire, mais j’avais les yeux au beurre noir et un bras cassé. Je me suis senti vraiment bafoué par le monde. C’était de la violence gratuite, contre quelqu’un qui ne leur avait rien fait !

Tout un passé de violence ou d’amours incompris, d’inacceptation, m’a amené un jour, à l’âge de 28 ans, à me dire que peut-être, il y avait un ailleurs pour moi.

 

D’ici, on voit la France comme le pays de la liberté, on s’imagine plein de trucs, qu’on va trouver l’amour, qu’on ne va pas nous siffler dans la rue et que des lois nous protègent.

 

Le départ n’a pas été évident, car il fallait tout quitter, les rues dans lesquelles j’ai grandi, les bistrots où on avait appris à me respecter en tant qu’homosexuel, le petit cercle d’amis qui s’était construit pour se protéger contre ce côté hypocrite de la société musulmane. Au Maghreb, les gens acceptent une personne homosexuelle plus que les Français pourraient l’accepter, car ils l’acceptent en tant que personne, mais il ne faut pas en parler. C’est vraiment cette hypocrisie-là que je ne supportais pas. On s’imagine qu’en France, ça n’est pas la même chose, qu’il n’y a pas lieu de se poser la question si on va être accepté ou pas. On s’imagine que là-bas, on va vivre, tout simplement.

Je suis parti le 28 mai 2011. En France, pour ne pas rester en situation irrégulière, la seule alternative, c’était de faire une demande d’asile. J’ai raconté ce qui m’avait pesé toute ma vie, mon enfance, la violence que j’ai subie de la part de mon père, celle de ma famille lorsqu’ils ont su que j’étais homosexuel, et la sexualité de l’enfant que j’étais, livré à la rue et au milieu de la nuit. J’ai récité tout ça. J’espérais que ça me donnerait justice aujourd’hui, à 28 ans. J’ai utilisé le code pénal algérien qui définit l’acte homosexuel comme contre-nature et le pénalise jusqu’à 3 ans d’emprisonnement. Au bout de 6 mois, j’ai obtenu mon statut de réfugié politique.

 

En France, j’ai commencé de suite une vie professionnelle, j’ai obtenu un appartement, les conditions humainement souhaitées pour pouvoir vivre. Mais on était tout le temps soumis à la question de l’intégration. Et qu’est-ce que l’intégration ? Est ce que c’est de bien parler français, de pouvoir travailler et générer un salaire, de savoir prendre un verre de vin ou bien de ne pas aller à la mosquée et d’être gay ? Et puis, il n’y avait pas cette chaleur humaine, cette envie de vivre qu’on a ici en Algérie. Je me suis rendu compte qu’en fait, malgré son paradoxe, j’étais amoureux de l’Algérie.

 

En France, je me suis senti perdu. Je n’avais pas ce que je cherchais, l’affection, l’amour. La consommation devenait l’essence même de la vie, ça n’était pas pour moi. En Algérie, il y a encore des choses à faire.

 

Au bout de 3 ans de vie en France, je décide donc de revenir en Algérie. Mais le simple fait d’être en contact avec une administration algérienne pouvait me valoir mon titre de réfugié politique. J’ai donc décidé de rentrer au pays illégalement. Je suis passé par le Maroc, j’ai traversé la frontière dans un champ de blé, je suis tombé dans un fossé et je suis arrivé couvert de boue. Je suis une des rares personnes qui ai fait le trajet à l’inverse. Mais ça valait le coup ! Pour le simple fait que je revienne !

 

Où pourrais-je être aimé et aimer en échange, sans équivoques, sans préjugés ? Cette question existentielle se pose partout dans le monde, mais en Algérie, elle est très forte. Car on n’arrive pas à comprendre comment on peut être aimé et pourtant ne pas être accepté. Arrivé en Algérie, face à ce dilemme, je me suis laissé aller, pendant 2 ans, entre drogue et prison, j’ai sombré. Il me fallait tuer symboliquement la personne que j’étais et qui avait été façonnée par 30 ans de vie dans des sociétés charmantes et hypocrites.  Puis je me suis dit : « Allez, il faut renaître vers de nouveaux espoirs ».

 

Maintenant, je me dédis à un travail associatif pour soutenir des jeunes en détresse dont le parcours est souvent si proche du mien. C’est en Algérie que je vois l’espoir du changement.

 

Alger, juin 2018

 

Photo : B. R. en bord de mer à Tamda Ouguemoune, Tigzirt.